De la littérature souterraine : Le Fantôme de l'Opéra (2)


Reprenons les aventures du vicomte Raoul de Chagny et de la cantatrice Christine Daaé, poursuivie par les ardeurs du Fantôme de l’Opéra, fou amoureux de la jeune femme. Gaston Leroux nous emmène dans les ténèbres des sous-sols de l’Opéra…


Derrière le miroir

Le lustre vient de s’écraser sur les fauteuils d’orchestre. Christine Daaé se réfugie dans sa loge, quand elle est comme aspirée par le miroir. Elle raconte son terrible récit à Raoul :

Extraits : chap XIII : La lyre d'Apollon

- Eh pauvre ami, je rêvais pas ! Je me trouvais hors de ma loge sans savoir comment ! Vous qui m’avez vue disparaître de ma loge, un soir, mon ami, vous pourriez peut-être m’expliquer cela, mais moi je ne le puis pas ! Je ne puis vous dire qu’une chose,  c’est que, me trouvant devant ma glace, je ne l’ai plus vue tout à coup devant moi et que je l’ai cherchée derrière… Mais il n’y avait plus de glace, plus de loge…. J’étais dans un corridor obscur… j’eus peur et je criai !
"Tout était noir autour de moi ;  au loin, une faible lueur éclairait un angle de muraille, un coin de carrefour. Je criai. Ma voix seule emplissait les murs, car le chant et les violons s’étaient tus. Et voilà que soudain, dans le noir, une main se posait sur la mienne… ou, plutôt, quelque chose d’osseux et de glacé qui m’emprisonna le poignet et ne me lâcha plus. Je criai. Un bras m’emprisonna la taille et je fus soulevée… Je me débattis un instant dans l’horreur ; mes doigts glissèrent au long des pierres humides, où ils ne s’accrochèrent point. Et puis, je ne remuai plu, j’ai cru que j’allais mourir d’épouvante. On m’emportait vers la petite lueur rouge ; nous entrâmes dans  cette lueur et alors je vis que j’étais entre les mains d’un homme enveloppé d’un grand manteau noir et qui avait un masque qui lui cachait tout le visage… Je tentai un effort suprême : mes membres se raidirent, ma bouche s’ouvrit encore pour hurler mon effroi, mais une main la ferma, une main que je sentis sur mes lèvres, sur ma chair… et qui sentait la mort ! Je m’évanouis.

Les cercles de l'Enfer

Gustave Doré, Dante et Virgile dans le neuvième cercle de l'enfer, actuellement en exposition au Musée d'Orsay ( exposition  Gustave Doré)
Gustave Doré, Dante et Virgile dans le neuvième cercle de l'enfer, actuellement en exposition au Musée d'Orsay ( exposition Gustave Doré)
Combien de temps restai-je sans connaissance ? Je ne saurai le dire. Quand je rouvris les yeux, nous étions toujours, l’homme noir et moi, au sein de ténèbres. Une lanterne sourde, posée par terre, éclairait le jaillissement d’une fontaine. L’eau, clapotante, sortie de la muraille, disparaissait presque aussitôt sous le sol sur lequel  j’étais étendue. […]
J’avais la pleine disposition de mes sens. Mes yeux se faisaient aux ténèbres qui, du reste, s’éclairaient çà et là, de lueurs brèves… Je jugeai que nous étions dans une étroite galerie circulaire et j’imaginai que cette galerie faisait le tour de l’Opéra, qui, sous terre, est immense. Une fois, mon ami, une seule fois, j’étais descendue dans ces dessous qui sont prodigieux, mais je m’étais arrêtée au troisième étage, n’osant pas aller plus avant dans la terre. Et, cependant, deux étages encore, où l’on aurait pu loger une ville, s’ouvraient sous mes pieds. Mais les figures qui m’étaient apparues m’avaient fait fuir. Il ya là des démons, tout noirs devant des chaudières, et ils agitent des pelles, des fourches, excitent des
brasiers, allument des flammes, vous menacent, si l’on en approche, en ouvrant tout à coup sur vous la gueule rouge des fours ! […]


La barque de Caron

Charon on the Styx. Painting by Joachim Patenier
Charon on the Styx. Painting by Joachim Patenier
Il y avait effectivement sous l’Opéra une usine électrique gigantesque qui faisait fonctionner cette énorme machinerie… Cf l’article 1368.

Le Fantôme emporte toujours plus profond sa proie sur le dos du cheval César vivant dans les souterrains, comme à travers les cercles de l’enfer de Dante:

« Je ne pourrais vous dire, même approximativement, combien de temps ce voyage, dans la nuit, dura : j’avais seulement l’idée que nous tournions ! que nous tournions ! que nous descendions selon une inflexible spirale jusqu’au cœur même des abîmes de la terre ; et encore, n’était-ce point pas tête qui tournait ? Toutefois je ne le pense pas. J’étais incroyablement lucide. César, un instant, dressa ses narines, huma l’atmosphère et accéléra un peu sa marche. Je sentis l’air humide et puis César s’arrêta. La nuit s’était éclaircie. Une lueur bleuâtre nous entourait. Je regardai où nous nous trouvions. Nous étions au bord d’un lac dont les eaux de plomb se perdaient au loin dans le noir… Mais la lumière bleue éclairait cette rive et j’y vis une petite barque, attachée à un anneau de fer, sur le quai !
" Certes, je savais que tout cela existait, et la vision de ce lacet de cette barque sous la terre n'avait rien de surnaturel. Mais songez aux conditions exceptionnelles dans lesquelles j'abordai ce rivage. Les âmes des morts ne devaient point ressentir plus d'inquiétude  en abordant le Styx. Caron n'était certainement pas plus lugubre ni plus muet que la forme d'homme qui me transporta dans la barque.



Au bout de ce tragique voyage, Christine découvre un intérieur bourgeois confortable auquel elle ne s'attendait pas six pieds sous terre. Erik va tenter, sinon d'apprivoiser, du moins d'apitoyer sa belle...

A suivre...

Lady Trog


Rédigé par Renée Frank le Lundi 17 Mars 2014 à 09:04 | Lu 265 fois