La rencontre avec la "vieille"
L’homme demande l’hospitalité pour la nuit, qu’on lui accorde volontiers après conciliabule des villageois :
On le conduisit à la lisère du village la plus éloignée du centre : là, touchant la crête des dunes, parmi d’autres trous, une fosse s’ouvrait. Un peu en contrebas de la crête passait un étroit sentier, que le vieux suivit un moment. Puis, dans l’obscurité, le corps penché en avant, frappant des paumes, forçant la voix, il se mit à appeler :
-Hé, la Vieille, ohé !
A leurs pieds, du fond des ténèbres, s’alluma le feu vacillant d’une lampe, une réponse perça :
De ses souvenirs de la journée, l’homme avait l’image de pentes beaucoup plus douces. Maintenant, à scruter celle-ci, elle lui semblait tomber presque à la verticale. L’échelle, elle aussi, était horrible : échelle de corde, irrégulière, à laquelle manquaient des échelons, et telle que si l’on venait à perdre l’équilibre, il semblait qu’elle dût à mi-course, achever de se tordre sur elle-même. L’homme avait l’impression qu’il venait de descendre, pour l’habiter, au cœur d’une forteresse que la Nature même eût creusée. […]
« Voyons, se demandait-il : celle qu’on vient d’appeler la Vieille est-elle donc si vieille que ça? »
Alors, portant une lampe, une femme vint au-devant de lui. Trente ans à peine, en âge de plaire et d’être aimée ; de petite taille ; et – s’était-elle fardée ? – pour une femme du bord de mer, le teint étrangement blanc. Et puis, chez elle, cette vivacité empressée de l’accueil, trahissant son impuissance à cacher sa joie profonde : et c’est de cela surtout qu’il lui était reconnaissant.
On le conduisit à la lisère du village la plus éloignée du centre : là, touchant la crête des dunes, parmi d’autres trous, une fosse s’ouvrait. Un peu en contrebas de la crête passait un étroit sentier, que le vieux suivit un moment. Puis, dans l’obscurité, le corps penché en avant, frappant des paumes, forçant la voix, il se mit à appeler :
-Hé, la Vieille, ohé !
A leurs pieds, du fond des ténèbres, s’alluma le feu vacillant d’une lampe, une réponse perça :
- Par ici, par ici… Tout à côté des sacs en paille, là, vous trouverez l’échelle !
Nul, à coup sûr, n’eût descendu sans échelle cette falaise de sable : elle s’élevait à trois hauteurs de toit, si abrupte que, fût-ce avec le secours d’une échelle, on ne pouvait dire que la descente en fût une chose si facile. De ses souvenirs de la journée, l’homme avait l’image de pentes beaucoup plus douces. Maintenant, à scruter celle-ci, elle lui semblait tomber presque à la verticale. L’échelle, elle aussi, était horrible : échelle de corde, irrégulière, à laquelle manquaient des échelons, et telle que si l’on venait à perdre l’équilibre, il semblait qu’elle dût à mi-course, achever de se tordre sur elle-même. L’homme avait l’impression qu’il venait de descendre, pour l’habiter, au cœur d’une forteresse que la Nature même eût creusée. […]
« Voyons, se demandait-il : celle qu’on vient d’appeler la Vieille est-elle donc si vieille que ça? »
Alors, portant une lampe, une femme vint au-devant de lui. Trente ans à peine, en âge de plaire et d’être aimée ; de petite taille ; et – s’était-elle fardée ? – pour une femme du bord de mer, le teint étrangement blanc. Et puis, chez elle, cette vivacité empressée de l’accueil, trahissant son impuissance à cacher sa joie profonde : et c’est de cela surtout qu’il lui était reconnaissant.
Le brouillard
Le mari et l’enfant ont été engloutis par une avalanche de sable et les bras manquent, d’où le piège pour attirer un promeneur naïf égaré dans les dunes. Tel est donc le destin de la femme, qui comme le rocher de Sisyphe, recommence chaque nuit cette tâche sans fin. Le jour, elle dort écrasée par la chaleur, les trous de dunes sont transformés en fournaise, quand il ne neige pas en hiver le long de ce rivage inhospitalier. L’homme, s’il n’obtempère pas et n’accomplit pas sa part du travail, se voit privé de provision d’eau. Le sable et la sueur se mêlent comme un supplice sur la peau brûlée par la râpe du sable.
- Qu’on creuse ici ou là, ça n’a pas d’importance, n’est-ce pas, pourvu qu’on creuse ?
Il leva à son tour les yeux, et comprit : un ourlet de sable surplombait la falaise, et, accumulé tout au long de l’arrête à la façon d’une neige épaisse et gonflée, s’avançait en saillie.
Le sable, fit la femme, le sable aussi aspire déjà en abondance le brouillard. Et s’il s’agit de sable imprégné de sel, dès que ce sable-là a bu l’eau du brouillard, alors il durcit comme de la colle de riz, et toute sa masse se coagule, savez-vous !
- Qu’on creuse ici ou là, ça n’a pas d’importance, n’est-ce pas, pourvu qu’on creuse ?
- Que ça n’ait pas d’importance, ça non, on ne peut pas dire ça !
- Mais, ici, par exemple, ça va ?
- ça va… mais, autant que possible, s’il vous plaît, tâchez de faire tomber le sable en suivant bien droit le plan de la falaise !
- Alors, comme ça, partout, dans chaque maison, c’est à cette heure-ci qu’on enlève le sable ?
- Bien sûr ! La nuit, le sable est humide, le travail est facile. Quand le sable est sec, au contraire, alors de là-haut - et, ce disant, elle levait les yeux vers le ciel - … alors, de là-haut, ça peut s’abattre comme une masse, écrasant tout.. et à quel moment au juste ça va crouler, ça, personne ne sait !
Il leva à son tour les yeux, et comprit : un ourlet de sable surplombait la falaise, et, accumulé tout au long de l’arrête à la façon d’une neige épaisse et gonflée, s’avançait en saillie.
- Dangereux, hein ?
- Non, non, plus maintenant, plus rien à craindre !
Presque charmeuse tant le ton s’en faisait rieur, la voix de la femme, d’un coup s’élevait :
Rien à craindre, le voici : voici le brouillard qui se lève ! […] Le sable, fit la femme, le sable aussi aspire déjà en abondance le brouillard. Et s’il s’agit de sable imprégné de sel, dès que ce sable-là a bu l’eau du brouillard, alors il durcit comme de la colle de riz, et toute sa masse se coagule, savez-vous !
L'ennemi des empires
Le film culte de Hiroshi Teshigahara
«Le Sable qui coule…
« Ce courant là, il s’était attaqué à des villes entières, à de grands empires même, autrefois prospères, et il les avait détruits, engloutis, sans qu’il n’en restât rien… Ainsi, dans l’Empire romain, la ville ensevelie de … de Sabratha, oui, c’est bien ce nom-là… Ainsi encore… voyons… mais oui, chez le poète persan, chez Omar Khayam, cette ville qu’il chante… Ah, le nom de cette autre ville disparue ?... Tant pis! … Mais cette ville où il y avait des tailleurs, et des bouchers, et des bazars… Cette ville, dont toutes les routes s’enchevêtraient comme les mailles d’un filet de pêche, toutes ces routes, dont pour chacune, le tracé ne pouvait être changé qu’après des années et des années de luttes administratives ! Toutes ces vieilles villes de la stabilité éternelle desquelles aucun homme, alors, n’avait jamais douté, jamais eût même l’idée de douter !... Toutes ces vieilles villes dont pas une, cependant, bien qu’elles n’eussent d’autre adversaire qu’un grain d’un huitième de millimètre… le grain de sable… non, pas une, n’avait pu, en fin de compte, échappé à la loi du Sable-qui-coule : pas une seule !
Ainsi, allaient les réflexions de l'homme piégé dans l'enfer des dunes:
Prêts à l'étrangler, les murs de sable l'entouraient. Il les regardait. La tentative qu'il avait risquée de les gravir en grimpant, le misérable échec à quoi elle avait abouti, s'égrenait dans sa mémoire. Ne fût-ce que de s'être débattu en pure perte, il en gardait dans tous les nerfs de son corps, le paralysant, pour ainsi dire, le sentiment direct de son impuissance... Le sable ici avait rongé toutes choses. Ici, les quotidiennes conventions, les usages de la vie ordinaire, rien de cela n'avait plus cours : un monde à part, peut-être!...
L'homme réussira-t-il à échapper à sa prison et à sa geôllière?
A suivre sur troglonautes.com...
Lady Trog
« Ce courant là, il s’était attaqué à des villes entières, à de grands empires même, autrefois prospères, et il les avait détruits, engloutis, sans qu’il n’en restât rien… Ainsi, dans l’Empire romain, la ville ensevelie de … de Sabratha, oui, c’est bien ce nom-là… Ainsi encore… voyons… mais oui, chez le poète persan, chez Omar Khayam, cette ville qu’il chante… Ah, le nom de cette autre ville disparue ?... Tant pis! … Mais cette ville où il y avait des tailleurs, et des bouchers, et des bazars… Cette ville, dont toutes les routes s’enchevêtraient comme les mailles d’un filet de pêche, toutes ces routes, dont pour chacune, le tracé ne pouvait être changé qu’après des années et des années de luttes administratives ! Toutes ces vieilles villes de la stabilité éternelle desquelles aucun homme, alors, n’avait jamais douté, jamais eût même l’idée de douter !... Toutes ces vieilles villes dont pas une, cependant, bien qu’elles n’eussent d’autre adversaire qu’un grain d’un huitième de millimètre… le grain de sable… non, pas une, n’avait pu, en fin de compte, échappé à la loi du Sable-qui-coule : pas une seule !
Ainsi, allaient les réflexions de l'homme piégé dans l'enfer des dunes:
Prêts à l'étrangler, les murs de sable l'entouraient. Il les regardait. La tentative qu'il avait risquée de les gravir en grimpant, le misérable échec à quoi elle avait abouti, s'égrenait dans sa mémoire. Ne fût-ce que de s'être débattu en pure perte, il en gardait dans tous les nerfs de son corps, le paralysant, pour ainsi dire, le sentiment direct de son impuissance... Le sable ici avait rongé toutes choses. Ici, les quotidiennes conventions, les usages de la vie ordinaire, rien de cela n'avait plus cours : un monde à part, peut-être!...
L'homme réussira-t-il à échapper à sa prison et à sa geôllière?
A suivre sur troglonautes.com...
Lady Trog