Nos vies défilent comme une pluie qui tombe

La route n’est pas vraiment belle par ici. D’ailleurs c’est où ici ? Je ne reconnais plus rien.
Le ciel n’est pas vraiment en joie lui non plus, pourtant il est magnifique. Comme s’il était fait d’acier. Un gris profond. Un ciel gris comme je les aime d’ordinaire, avec ses nuages épais. Lourd de pluie. Lourd de larmes. Lourd de sens.
Je ne sais pas depuis quand je marche, tout me semble loin. Je marche depuis si longtemps que je suis perdue. Pas seulement sur ma route, mais en moi. Je ne sais même plus si je demande à mes pieds de bouger ou s’ils me portent d’eux-même. Comme s’ils avaient leur propre volonté, leurs propres envies.
Le paysage ne me dit rien, ses falaises, ses arbres, je ne reconnais rien et pourtant. Pourtant, j’ai l’impression d’être déjà venue, d’y avoir déjà vécu même. C’est étrange comme sensation. Je n’aime pas ça.
Je n’aime pas non plus ce silence. Je n’entends que le bruit de mes chaussures qui martèlent le sol. Pas d’oiseaux, pas de voitures, la route est déserte. Je suis seule et perdue.
Il commence à faire vraiment chaud. Chaud et humide, comme avant que les pluies d’été ne tombent brusquement, d’ailleurs la voilà qui arrive. La pluie. Je savais bien que j’aurais dû me couvrir, avec mon short et mon débardeur je vais prendre froid. Dommage. Tant pis mais au moins l’eau couvrira le bruit de mes pas, elle sera comme une compagne. Une compagne de fortune.
La route défile sous mes pieds, qui semblent ne plus du tout m’obéir. Je voudrais m’arrêter, retourner en arrière mais eux, ils ne veulent rien savoir. Ils avancent encore et toujours, peut être ont-il une idée derrière la tête, peut être pas.
Plus j’avance et plus je sens l’eau mouiller mes chaussettes, je crois que mes chaussures font leurs derniers voyages. C’est drôle, quand on se perd, qu’on erre sans but, la moindre petite chose prend de l’importance.
La pluie redouble de force. Je vais vraiment être malade si je ne trouve pas un abri, il faut que je me dépêche.
Quelques pas plus loin je vois comme des crevasses dans la roche, plus je m’approche, plus elles se précisent. Elles pourront me faire un bon abri, juste quelques heures, le temps que la pluie cesse.
Dans le silence repose le salut
Portée par mes pieds, je pénètre un lieu étrange, presque mystique.
Je n’avais encore jamais vu ça, du moins il me semble, mais je sais de quoi il s’agit. J’en ai déjà entendu parler. Les troglodytes.
C’est bizarre, le temps semble suspendu ici. Un peu de poussière flotte dans les airs, personne ne semble vivre ici. Pourtant, quand je ferme les yeux, j’entends quelque chose, des pas, une voix, un rire peut-être, mais il n’y a rien ici. Je suis seule et je le sais.
Je suis épuisée et la pluie dégouline sur ma peau, pourtant je me lève et m’enfonce plus loin encore dans cet endroit.
Des arches, des voûtes, des marches sont comme taillées dans la masse. Je ne sais pas à quoi ce lieu pouvait servir, il m’évoque une sorte de cathédrale, une abbaye peut-être. A moins que ce soit juste une cave. Une cave pour se rencontrer, s’abriter, discuter. Une cave où vivre, l’espace d’un instant, dans un autre monde. Un ailleurs tellement loin de notre quotidien qu’il semble presque marginal.
J’aime ce lieu. Son atmosphère m’apaise. Ici je me sens comme chez moi. Je respire profondément comme pour m’imprégner de son odeur. Pour la faire mienne, pour ne plus qu’elle me quitte. Je continue d’avancer lentement, mes pieds me font mal et je suis fatiguée. Si fatiguée, je crois qu’on m’observe, qu’on me suit. Je me retourne mais ne vois personne. Etrange.
Je finis par m’asseoir sur des marches. Cette cave est si tranquille, si belle. Mes ennuis me paraissent tout à coup dérisoires, je vais finir par croire que ce lieu est vraiment magique. Je souris. Je ne sais pas pourquoi, mais je souris.
Derrière moi j’entends du bruit et alors que je décide de ne plus y prêter attention, je vois quelque chose devant moi. Comme une tache. Une tache sombre dans la pénombre des grottes.
Elle s’approche de moi et ses traits se précisent. Un chien. Ce n’est rien d’autre qu’un chien. Un bâtard visiblement.
Il s’approche de moi pour réclamer quelques caresses mais à peine ai-je tendu la main vers lui qu’il s’enfuie déjà.
Ce lieu n’est peut-être pas abandonné finalement. Peut-être que je suis entrée chez ce chien. Il ne semble pas être agressif…
Je ne l’entends pas, je suis trop loin dans la roche, mais dehors la pluie a cessé, un beau soleil brille.
J’aime ce lieu, je m’étais perdue dehors, je me retrouve ici.
Emmanuelle Villain.