Que s’est-il passé en Périgord ?

Ou Le Cluzeau du Périgord, un piège génial … et mortel !!! -3-


Après les scénarios « la vie quotidienne dans les Cluzeaux » imaginés avec humour par Serge Avrilleau, nous avons pu les restituer dans une perspective historique.
Dans ce troisième et dernier volet, l’approche sera plus rationnelle et scientifique ; il s’agit d’analyser les méthodes de percement et de creusement des cluzeaux soumis à une parfaite géométrie.


Les premiers cluzeaux géométriques.

J’ai appelé de cette façon les souterrains-refuges qui présentent des chicanes orthogonales aux couloirs perpendiculaires et aux salles rondes ou carrées dont on trouve plus de 280 exemplaires dans le Sud-Ouest de la France. Car les premiers souterrains-refuges entièrement artificiels présentaient des couloirs sinueux imitant les galeries des grottes naturelles. Au début de cette nouvelle période d’invention des cluzeaux géométriques, le schéma est simple pour ne pas dire rudimentaire : une galerie en chicane atteint une petite salle unique d’où part un conduit de surveillance couvrant l’entrée. Ce système de base se compliquera au cours des temps, se perfectionnera ensuite et deviendra la spécialité d’un certain nombre de carriers et tailleurs de pierre, professionnels probablement issus du Compagnonnage sans doute encouragés et soutenus par le clergé catholique. On trouve en effet de nombreux souterrains dont les accès sont situés dans l’enceinte d’une église et les gravures élaborées sur les parois de certains autres sont en très grande majorité des croix chrétiennes (1)
 
(1)        Avrilleau, S. (2001) « Essai de typologie des graffiti anciens, signes et autres marques gravées du Périgord » Bulletin de la Société Historique et Archéologique du Périgord, pages 429-460.

La Règle 26.

J’ai ainsi nommé, provisoirement, les principes d’élaboration d’un souterrain-refuge parfait qu’on nomme « Cluzeau » dans le Sud-Ouest, dans sa phase ultime la plus récente.  Il s’agit d’une découverte nouvelle et fondamentale. L’application stricte de cette règle permettait d’accomplir une œuvre remarquable élaborée au cours de plusieurs siècles de perfectionnement et d’expérience :
Une équipe de 4 creuseurs professionnels (des ‘’fosaïre’’ comme les nommait Maurice Broëns (1) arrivent dans un village du Périgord où un propriétaire terrien a fait appel à eux pour créer un refuge souterrain identique à celui qu’ils ont creusé à proximité du village voisin. Ces spécialistes sont d’anciens carriers ou tailleurs de pierre dont certains d’entre eux sont des Compagnons. L’endroit choisi se situe à quelques centaines de mètres du village, dans une clairière où affleure la roche calcaire, sur un terrain plutôt en pente.
 
Les creuseurs sortent alors de leur sac une corde à 13 nœuds qu’ils vont déployer sur le sol, deux fois. Cette corde mesure douze coudées (6m actuels) et le début de la seconde mesure touchant bout à bout la fin de la première mesure, on obtient une mesure totale de 24 coudées (c’est-à-dire 12m actuels). Une équipe de deux hommes va commencer un chantier au bas de la pente du terrain et l’autre équipe de deux hommes va commencer un autre chantier en haut du terrain, très exactement à 24 coudées de l’autre, les premiers coups de pioche représentant l’angle d’un carré de 3 coudées de côté ; Le centre de ces deux carrés se trouvera alors à 26 coudées l’un de l’autre, soit très exactement treize mètres actuels. Ce sera l’envergure totale de l’ouvrage qui permet de répartir, sous terre, les structures composant le souterrain-refuge parfait et idéal tel qu’il a été mis au point par l’usage et la tradition dans sa remarquable efficacité.
L’équipe du haut va commencer le creusement d’un escalier descendant sous terre en direction de l’équipe du bas qui est chargée du creusement d’un puits d’extraction dont le plan correspond au carré initial et dont la profondeur de quelques mètres est probablement toujours la même. Les creuseurs auront pris soin d’aménager des pas creusés (opes) dans les parois pour monter et descendre pendant les travaux par leurs propres moyens. Ils placeront dans les angles les 4 montants d’un système de poulie sur pieds (une ‘’chèvre’’ en langage vulgaire). Notons que les puits desservant des souterrains sont généralement de plan carré alors que les puits à eau sont généralement ronds et circulaires. Ce puits d’extraction est utilisé pour évacuer les matériaux de creusement de la grande salle terminale qui constitue le dernier refuge des familles et sera irrémédiablement et systématiquement rebouché après cet usage unique, pour empêcher toute intrusion ennemie ultérieure par ce point faible. De gros blocs (souvent du silex ou du grès) vont le refermer et on ménagera dans les angles du puits quelque système d’aération au moyen de tuiles ou de pierres plates.
Désormais chaque équipe sait ce qu’elle a à faire. Pendant que l’équipe du bas est chargée de vider la grande salle commune, l’équipe du haut crée le système de défense simple, double ou triple où se combinent judicieusement les meurtrières, les barrages et autres pièges. Les couloirs auront toujours une largeur standardisée de 70cm (soit 26 pouces, chiffre facile à retenir suivant la règle en question). A la fin des travaux, les deux équipes vont se rejoindre au centre de l’ouvrage et cette jonction sera souvent visible par des décalages latéraux et verticaux. 
 
(1)       Broëns Maurice, (1976) « Ces souterrains … refuges pour les vivants ou pour les esprits ? »

Conclusions

A l’issue de mes décomptes, j’ai répertorié plus de 70 cluzeaux géométriques répondant aux normes de la ‘’Règle 26’’. Dans la pratique de la recherche archéologique, les ‘’subterranologues’’ pourront tirer parti des conséquences de la ‘’Règle 26’’ par exemple quand on ne connaîtra que l’un des deux éléments du système : le puits d’extraction ou l’escalier d’entrée. En effet le second élément doit se trouver à 13m du premier, s’il s’agit bien d’un ‘’cluzeau géométrique du Périgord ’’.

Serge Avrilleau

L’approche de Serge Avrilleau est captivante : au travers de ses mots la roche « parle » et revit de manière silencieuse et enrichissante.
Les Troglonautes, Renée (Lady Trog), Chantal Bouin (Troglita) et M.Trog remercient vivement l’auteur pour cette première collaboration.


Rédigé par Patrick Edgard Rosa le Mercredi 31 Mai 2017 à 07:41 | Lu 372 fois