Matera : objectif 2019


Nous voici en 2012. Matera a réussi à effacer des murs la honte tagguée sur ses façades, même si la mémoire collective en est encore imprégnée. Rien ne disparaît d'un coup, la ville le sait et peut remercier les forces vives qui se sont acharnées, il y a cinquante ans, à déchirer le voile de l’oubli. Après la reconnaissance obtenue auprès de l’Unesco (1993), la ville et ses habitants se tournent résolument vers un défi d’envergure : être en 2019 la Capitale Culturelle de l’Europe.
Toute cette dynamique ne serait pas rendue possible sans une volonté particulière et sans les forces vives qui composent la cité. Il y a l’Etat, les élus locaux, mais aussi des associations, des acteurs privés et quelques figures incontournables.



Les 50 ans de la Scaletta
Les 50 ans de la Scaletta
C’est en 1986 que tout démarre. Avec la promulgation de la loi n°771 qui prévoit « la conservation et la récupération de l’architecture environnementale », un véritable travail de développement et de requalification urbaine va propulser Matera sur la voie de la modernité, du développement culturel et touristique. C’est en s’appuyant sur les forces en présence, ajoutée à une certaine volonté de l’Etat et de ses représentants locaux, que la cité sortira de sa torpeur morose. On y trouve le « Circolo cultural la Scaletta », Mario Tomaselli, avec la création du  le Parco de la Murgia, autant d’initiatives qui ont su sensibiliser les élus, et attirer le privé comme le groupe « Sextantio », ou encore le « Panecotto », tous les yeux tournés vers l’avenir « Matera 2019 ».

Les associations

Mario Tomaselli, archives CEA
Mario Tomaselli, archives CEA
En Italie, au contraire de la France, il n’y a pas de main mise de l’Etat sur le patrimoine. L’Etat absentéiste, ce sont les associations culturelles qui « à travers leur fonction de substitution aux dispositifs étatiques s’occupent de la définition, conservation et transmission du patrimoine. » (cf Iliria d’Auria, rattachée au Laboratoire d’anthropologie des Mondes Contemporains, Université libre de Bruxelles). Cet essai démontre l’intérêt de se placer à l’intersection du fait associatif et du fait patrimonial : « Au pays des aveugles, les borgnes sont rois ».
 
La Scaletta
Suite à la sensibilisation  initiée par l'écrivain Carlo Levi, le centre culturel né en 1959, « Il circolo La Scaletta », propose la création d’un musée ethno-anthropologique, lieu de conservation et d’approfondissement des installations humaines, de l’époque troglodyte à nos jours.Très active, l’association s’est engagée dans la réflexion, la restauration, la réhabilitation et finalement la valorisation du patrimoine rupestre (Notre-Dame des Vertus, Saint-Nicolas des Grecs et la Crypte du péché originel). L’association est à l’origine de plusieurs études sur l’art rupestre dans le sassi et s’est très vite fortement engagée dans le processus de valorisation historique, culturel, économique, social et urbain pour dégager l’intérêt pour ces quartiers, en tenant compte de l’environnement et de l’empreinte fortement rurale de la cité. Conférences, expositions nombreuses, élaboration de projets repris par l’Etat et ses représentants, scandent ainsi la vie de l’association depuis plus de 50 ans (53 ans, jour pour jour…)
 
Mario Tomaselli
Mario Tomaselli a été parmi les principaux architectes de l'institution du Parc de la Murgia de Matera, ainsi que le Parc National du Pollino. Né à Rome le 23 Juillet 1930, sa famille vient s’installer à Matera en 1940. C’est dans les années 50 qu’il s’implique dans le processus de réhabilitation de la ville : Il a tenu différents postes tels que consultant pour le ministère de l'Environnement et de la région de Basilicate pour le parc de la région de la Basilicate Pollino, dans le cadre du Plan de coordination territoriale et  du plan d'aménagement paysager pour la Metaponto, Matera et les villes de Montescaglioso, puis dans le cadre du plan pour le Parc de la Murgia Matera, la ville de Policoro et pour le projet de développement touristique de la côte, ou les projets de développement culturels à Matera.
Il est l'auteur de trois documentaires : Les églises rupestres de Matera ( Institut de Rome de lumière), Pollino,  (WWF Rome), Les fermes fortifiée Matera (Matera Videouno). Il compte parmi les fondateurs du Circolo La Scaletta et est à l’origine de la création du Parco de la Murgia.
 
 
Le Parco de la Murgia
Pour préserver cette histoire millénaire, le Parc régional Historique et Naturel des Eglises rupestres de la région de Matera, également appelé Parco della Murgia Materana, a vu le jour. Les canyons, les précipices et les grottes furent utilisés dès la Préhistoire comme refuges par les habitants. La Gravina de Matera est une crevasse tout à fait impressionnante et forme un cirque qui s’étend sur vingt kilomètres de long, arrivant jusqu’à la localité de Montescaglioso.
Institué en 1990,  le Parco della Murgia Materana couvre environ 8.000 hectares de paysages saisissants et hors du commun, riche en sites environnementaux, historiques, artistiques et anthropologiques. Le canyon Gravina et le torrent portant le même nom offrent une vue étonnante sur le profond ravin en roche calcaire d’une longueur de 20 km. Le torrent Gravina coule en direction de la côte ionienne. Ceci n’est que l’avant-goût d’un paysage qui pourrait parfaitement sembler désolé mais qui, en fait, porte  les signes d’une activité humaine riche. À l’intérieur du parc, plusieurs activités sont proposées:
  • des itinéraires guidés le long des sentiers qui traversent le haut-plateau en descendant le ravin spectaculaire Gravina, permettent de pénétrer dans le territoire jusqu’aux églises et complexes rupestres et fermes fortifiées,
  • au printemps, des promenades naturalistes à travers les mille floraisons, 
  • des photos naturalistes des paysages, escarpements et à l’intérieur des  églises creusées dans la roche,
  • l'observation d’oiseaux et de rapaces en milieu naturel,
  • du VTT à travers les sentiers étroits qui relient les vieilles fermes aux fermes rupestres.

En attendant, la renaissance de la cité repose sur la réflexion, l’énergie, et les savoirs-faire regroupés dans une même vision d’avenir. Il y a l’Etat, les associations, les habitants,  des inititiaves privées, tous tournés vers l’avenir.
 
Le Panecotto
Le Panecotto

L’ initiative privée

Hôtel "diffuse", le Sextantio
Hôtel "diffuse", le Sextantio
L’exemple du Sextantio
Le "Sextantio Hotel diffuse" occupe deux étages trogloytiques. Cest un hôtel des plus innovants et sophistiqué par l’austérité qui s’en dégage  (voir article précédent: Les nuits de Matera 2). Il en est de même du projet mené par Sextantio dans le village médiéval des Abbruzes de Santo Stefano di Sessanio (AQ), un village voué à l’abandon par la désertification des campagnes. Le village de Santo Stefano di Sessanio est considéré comme un exemple de développement durable, avec une restauration exemplaire destinée à créer un hôtel de charme diffus. De même à Matera, où il s’agit de développer l’offre touristique en réintégrant les sassi inoccupés.
 
 
Le projet « Panecotto »
Lors de notre arrivée, nous avons découvert  le magasin-restaurant troglo de Panecotto. Nous vous conseillons les soupes aux légumes bio de la région. Un vrai délice! Il est vrai que l'Italie est la patrie de la "slow" food, née en réaction au fast food américain.  Panecotto c’est un projet de développement durable et responsable de l’économie locale : une franchise qui a l'ambition de promouvoir et de soutenir les ressources territoriales en renforçant la tradition de la Basilicate dans trois domaines: les produits alimentaires et boissons,  l'artisanat et  l'expérience touristique. C’est aussi un projet qui intégre une dimension sociale : la participation de personnes défavorisées et vulnérables sur le marché du travail, et la perspective de nouvelles ressources pour soutenir le développement économique. Ainsi, les anciennes traditions émergent à travers l'investissement dans les productions indigènes culinaires qui encourage la production agricole locale de qualité. Il s’agit de récupérer la mémoire et la connaissance des arts et métiers qui sont, par leur dimension sociale, culturelle , économique et artistique, un héritage extraordinaire à préserver.
 
 

Le Panecotto
Le Panecotto
Ce portrait de la vieille cité touche à sa fin. Quatre jours bien évidemment ne suffisent pas : voilà un bon prétexte pour y retourner et partir à la découverte de la mémoire humaine de Matera et à la rencontre de ses habitants et de quelques acteurs incontournables. Laissons-nous le temps, ce n’est pas la porte à côté.
 


Rédigé par Patrick Edgard Rosa le Jeudi 12 Avril 2012 à 07:59 | Lu 599 fois