Les citernes sont dans le bain.


Hum! Après les délires poétiques de Lady trog, revenons sur terre ou plutôt les pieds dans l'eau... de quoi apporter de l’eau à son moulin. Je revêts donc l’habit du professeur Taupe pour vous faire découvrir un des exemples les plus remarquables d’adaptation de l’homme à son milieu et à son écosystème. Et oui, nous n’ avons pas fini avec Matera, comme le dit justement le magicien Done. En l’occurrence, nous allons nous pencher sur le système complexe de récupération des eaux de pluie, qui est à la source même du concept de la “Locanda San Martino” (voir article précédent). Histoire d’eau au fil du temps...
L’eau. Elle a joué un rôle essentiel dans le développement de la cité. Comment gérer le réseau pluvial dans l’enchevêtrement des habitats en partie enterrés dans ces cailloux (sassi)? Matera est l’exemple le plus remarquable d’un habitat troglodytique adapté à son terrain et à son écosystème.


Développement durable avant la lettre

Les citernes sont dans le bain.
Si vous séjournez quelques temps dans la cité, vous ne pourrez manquer de découvrir les marques de ce système, gouttières en terre cuite,  les rigoles taillées à même le sol qui desservent les différentes maisons, signes  de l’adaptation de l’homme à son milieu. Dans la ville et ses environs, nombre de canaux, de bassins de décantation, citernes (palombari) permettent de récupérer et stocker l’eau de pluie, et forment un système troglodytique de distribution de l’eau. Les citernes existent depuis la nuit des temps. Dans l’Antiquité, elles permettaient d’irriguer les régions sèches ou isolées des réseaux hydrographiques, comme les fortifications  des villes menacées de sièges. Elles étaient souvent souterraines, aménagées dans des cavités naturelles, parfois individuelles ou collectives. Elle a été notamment diffusée par les Maures (“aljibe”).
Il s'agit là d’un modèle archaïque, d’une architecture spécifique, véritable exemple de développement durable avant la lettre.
 

“Les jardins de pierre”

Les citernes sont dans le bain.
L’analyse de ce système a été étudiée par Pietro Laureani dans l’excellent ouvrage que constitue “Giardini di pietri” (Jardins de pierre) paru chez Borrati Borringhieri. L’auteur, architecte et urbaniste, originaire de Matera et responsable du développement des zones arides à l’Unesco, prône la permanence et la modernité de ce système, dont l’abandon progressif a conduit la cité à son déclin.
Alors qu'une ville conventionnelle exploite pour se développer des ressources extérieures, Matera s'est construite selon un modèle exactement inverse, en utilisant sur place tout ce qui était nécessaire à son expansion : les matériaux, l'énergie, l'eau, explique-t-il. C'est dans cette esprit que nous réhabilitons la ville. Je crois que la modernité ne réside pas dans les habitations de ciment et de béton construites sur les hauteurs dans les années 60, mais qu'elle doit être cherchée dans cette ville antique qui a toujours su utiliser son environnement tout en le respectant "

L’eau sous contrôle

Les citernes sont dans le bain.
L’eau recueillie est acheminée par ce réseau labyrintique dans les habitations où elle contribuait au maintien d’une température  aux alentours de 15° tout au long de l’année et d’une hygrométrie stable. “Chaque grotte forme à elle seule une chambre de condensation. Durant la nuit, la bruine déposée sur la pierre s'infiltre dans la fosse où elle est recueillie et se conserve à l'abri de la chaleur du jour. Pendant la journée, l'humidité apportée par le vent est introduite entre les pierres, et condensée par la température plus basse de cette chambre où est recueillie l'eau. " Mai pour que le système fonctionne, il faut conserver la porosité de la pierre, explique Pietro Laureano. Certains, au moment de la restauration, ont enduit les murs d'un vernis imperméabilisant... et provoqué des inondations ! "

La rançon du progrès

Les citernes sont dans le bain.
"Tout le système urbain complexe fondé sur le drainage, le contrôle et la répartition des eaux, est resté intouché jusqu'au XVIIIème  siècle, poursuit Pietro Laureano. Mais au XIXème, et surtout au XXème siècles, la capacité de gestion communautaire des ressources disparaît. La ville moderne s'étend en amont des lignes de pentes de ruissellement, là où la cité antique ne s'était  jamais aventurée. Le comblement des cours de drainage, transformés en route, et la destruction du réseau capillaire de collectage hydrique brisent des contraintes millénaires qui exigeaient le respect d'un équilibre : celui d'un développement urbain proportioné à la rareté des ressources naturelles. "
 
Et c’est ainsi que, petit à petit, l’habitat troglodytique se déteriora pour finalement déboucher sur la solution radicale prônée en 1952, à savoir l'évacuation forcée des habitants vers la ville nouvelle, et la ruine progressive des sassi.
 
A suivre.

Les citernes sont dans le bain.


Rédigé par Patrick Edgard Rosa le Mercredi 4 Avril 2012 à 05:30 | Lu 833 fois




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