Le bunker de Hitler (2/2)


Le monde souterrain est celui des refuges, pour le meilleur, mais souvent pour le pire. L'obsessionnel dictateur paranoïaque a creusé sa tanière sous les rues de Berlin. L'historien Joachim Fest décrit les derniers jours de Hitler dans son abri souterrain, qui se sait perdu et cherche à entraîner le monde et ses proches avec lui dans sa perte.


Un tableau de l'école hollandaise

Le bunker du Fürher proprement dit comportait près de 20 petites pièces sommairement meublées, à l'unique exception du large couloir passant devant la suite personnelle de Hitler où il y avait un canapé, une poignée de vieux fauteuils et quelques tableaux aux murs. Juste à côté se trouvait la salle de conférence ; dans cette pièce d'environ 14m² , jusqu'à 20 personnes se réunissaient plusieurs fois par jour autour de la table des cartes, pendant des heures d'affilée, ce qui donne une bonne idée de l'exiguïté des lieux et de la promiscuité qui y régnait.

Les 2 pièces - chambre et séjour-cabinet de travail -  dont disposait Hitler étaient aussi modestement aménagées. Au-dessus du sofa était accrochée une nature morte de l'école hollandaise, et, au-dessus du bureau, dans un cadre ovale, il y avait un portrait de Frédéric le Grand par Anton Graff qu'il lui arrivait souvent de fixer longuement, d'un air absent, comme s'il tenait tenait une conversation muette avec le roi défunt. [...]. Dans une encoignure, il y avait une bouteille d'oxygène dont la présence apaisait sa crainte persistante de suffoquer, notamment en cas de panne des moteurs diesel qui fournissaient au bunker lumière et chaleur, et qui renouvelaient constamment l'air.
Tous les plafonds étaient équipés d'ampoules électriques nues dont la lumière crue accentuait le caractère irréel et spectral de cet univers souterrain. Les derniers jours, alors que la fin était proche, il y eut quelques pannes d'eau ; il se répandait alors, venant surtout de la partie supérieure du bunker, une puanteur intolérable,mélange de gaz d'échappement des moteurs diesel, d'odeurs de latrines et de transpiration. [...]


Le chenil

Des témoins ont décrit l'effet angoissant et profondément démoralisant de ces espaces exigus, des murs de béton nu et de la lumière artificielle. Goebbels confia à son Journal qu'il évitait dans toute la mesure du possible de s'y attarder, pour ne pas être contaminé par cette "atmosphère de désolation". L'on peut à  juste titre se demander si ce décor souterrain coupé du reste du monde n'a pas favorisé ces décisions et ordres irréalistes où des armées chimériques s'apprêtaient à lancer des offensives qui n'avaient jamais lieu.

Hitler, le  premier, paraissait affecté par cette existence fantomatique à plus de 10 mètres sous terre. Son teint, blafard depuis des années déjà, son visage de plus en plus boursouflé et ses énormes cernes noirs lui donnaient un aspect effrayant qui n'échappait à personne. [...]

Un officier de l'état-major général a décrit le spectacle que présentait Hitler au cours de ces semaines:
"Il savait qu'il avait perdu la partie et qu'il n'était plus en son pouvoir de le cacher. Son apparence physique était terrifiante. Le torse projeté en avant, traînant ses jambes derrière lui, il allait péniblement, lourdement, de son logement à la salle de conférences du bunker. Il avait perdu le sens de l'équilibre ; si jamais il était arrêté en faisant ce court trajet ( 20 à 30m), il était obligé de s'asseoir sur un des bancs disposés le long du mur, ou de se retenir à son interlocuteur... Ses yeux étaient injectés de sang... [...]
Il était en proie à une solitude croissante. A diverses reprises, l'un ou l'autre des occupants du bunker le vit gravir péniblement l'étroit escalier montant aux jardins ; trop essoufflé pour continuer, il s'arrêtait  à mi-chemin, faisait demi-tour et se dirigeait vers la salle d'eau où se trouvait également le réduit destiné aux chiens.


Apparemment le dictateur déchu préférait la compagnie des chiens à ceux des humains.


Le sarcophage

Dehors, au-delà des épais murs de béton, régnait l'arbitraire d'une guerre qui s'achevait dans la pénurie, l'exténuation et la peur des représailles.

Le 20 avril, jour du 56ème anniversaire de Hitler, les hauts dignitaires du régime se réunirent une dernière fois.[...] Quelques jours auparavant, Eva Braun avait fait son apparition au bunker ; elle s'était installée dans une pièce relativement spacieuse adjacente à la suite de Hitler.


Le 29 avril, le ballon captif assurant les communications du bunker est abattu par l'ennemi. Les combats de rue font rage dans Berlin. Htiler fait abattre sa chienne Blondi et ses chiots.

Le bunker était devenu étrangement silencieux. D'aucuns parlent d'une atmosphère de sarcophage...

Une partie des pièces du bunker étaient occupaient par la garde personnelle du Führer,d'autres avaient été mises à la disposition de civils cherchant refuge. Ailleurs était installé un hôpital où étaient accueillis plus d 300 blessés, pour la plupart gravement atteints. Ils étaient soignés par 2 médecins totalement débordés, assistés par quelques infirmières et aide soignantes. Tandis que les uns opéraient des patients sur des tables couvertes de sang, les autres évacuaient les cadavres ou portaient jusqu'à la sortie du bunker de grandes bassines pleines de membres amputés, en se frayant un chemin à travers la foule qui encombrait les couloirs.

Les enfilades de pièces et de couloirs anarchiquement surpeuplés constituaient aussi le sinistre décor de cette "ambiance de fin du monde" que décrit un autre témoin:" Tous essayaient de noyer leur chagrin dans l'alcool. Les meilleurs vins et alcools, accompagnés de mets de choix, étaient prélevés sur les abondantes réserves." Chaque nouvel arrivant se trouvait inévitablement engagé dans une conversation sur le "meilleur moyen de mettre fin à ses jours au moment opportun". Un des occupants du bunker s'est comparé à "un habitant d'une morgue" où les morts faisaient semblant d'être encore en vie.



Le tombeau de Hitler

Alors qu'une dernière et sinistre fête est  organisée dans le réfectoire de la partie supérieure du bunker, un aide de camp est chargé de rétablir le silence et d'annoncer que le Fürher a l'intention de se donner la mort, mais aucun des fêtards, dont la plupart étaient complètement saouls, ne réagit à ce message et la beuverie se poursuivit comme si de rien n'était. [...]

Quand Hitler fut découvert mort dans son bureau, il n'était pas seul :
Tassé sur lui-même, la tête légèrement penchée en avant, les yeux ouverts, Hitler était assis sur le canapé recouvert de tissu à fleurs. Sur sa tempe droite, un gros trou, comme une pièce de 5 pfennigs laissait échapper un filet de sang qui coulait sur sa jour. [...] A côté de Hitler, affalée, Eva Braun, vêtue d'une robe bleue, les jambes repliées sous elle. Ses lèvres serrées étaient bleuâtres.


Comme Hitler avait donné comme ultime ordre que  l'on fasse disparaître sa dépouille et celle de sa femme par le feu ( ce qui fut fait dans les heures qui ont suivi sa mort), le mystère demeura longtemps sur ce qui s'était vraiment passé dans le bunker à l'atmosphère de fin du monde. L'écrivain allemand Joachim Fest a levé le voile sur les dernières heures du dictateur dont le refuge souterrain allait devenir le tombeau.

Les derniers jours de Hitler
Joachim Fest
Editions Tempus


L.T.




Rédigé par Renée Frank le Mercredi 24 Septembre 2014 à 11:12 | Lu 975 fois