Le Blues du troglodyte, Kenneth Cook (2/2)

De la littérature souterraine


Nous retrouvons l'attachant Simon Crown, écrasé par la chaleur du désert australien, où le seul refuge est celui de la fraîcheur souterraine ( article 2106). Habitations troglodytes… et mines d’opale sont des abris qui ne protègent cependant pas de la déprime qui guette le troglodyte déboussolé. A Ginger Whisker, même les chapelles sont souterraines et les curés débauchés y draguent les jeunes femmes naïves...


Ours ou wombat?

Le Blues du troglodyte, Kenneth Cook (2/2)
Seul dans ma grotte. Pas de curé, pas de banquier, pas d’hommes d’affaires mystérieux et pas de Grecs à la gorge transpercée de tournevis. Mais bien sûre, leur souvenir me poursuit.[…]
On frappe à la porte. Il fait encore jour dehors, je vois les rayons de soleil dans les fissures de l’épaisse porte en bois au bout de la petite galerie qui mène au salon. […] C’est la fille. Sa silhouette encadrée dans le chambranle de la porte se découpe sur les couleurs déchaînées du ciel, les cheveux enflammés par le soleil couchant. […]
-
J’ai téléphoné à la radio et ta secrétaire m’a dit que tu préférais que je vienne dans ta maison. J’imagine que ces trucs sont des maisons. C’est juste un peu drôle.
- Je l’appelle toujours ma tanière.
- Ca fait un peu ours.
- Ou wombat.
- Il me semble que les wombats vivent dans des terriers plutôt que des tanières.
- Eh bien, il m’arrive aussi de parler de mon terrier.
Elle porte un pantalon et un chemisier, et balance son casque de moto au bout du bras.

Comment draguer en troglo

Voilà que Simon est en train de vivre un moment sensationnel. Après avoir proposé du bon vin et servi sa spécialité, les œufs au bacon, à son invitée imprévue, le voilà malheureusement interrompu dans ses velléités romantiques par plus entreprenant que lui :

La porte d’entrée s’ouvre. Je bois le vin que je m’étais versé. Quelqu’un entre, son ombre s’’avance dans la lumière du salon.
- Salut Simon.
Par tous les saints souffreteux salivants et sirupeux au cyanure, c’est ce demeuré de curé débile, omniprésent, égocentrique, spirituellement constipé et sexuellement débauché.
- Salut Tony.
 
Et après un discours qui se veut philosophique et spirituel, voilà que le curé invite la belle inconnue à l’accompagner :
- Si tu veux peindre le désert, poursuit Tony, tu dois absolument assister à une messe dans ma chapelle souterraine. Je crois que je pourrai te montrer ce que je veux dire mille fois mieux qu’avec des mots. (Voilà qu’il veut me la convertir. J’imagine qu’il est essentiel à son psychisme de la convertir en nonne avant de l’épouser.) Quand je dis la messe dans le cœur du désert, au sens propre du terme puisque je suis sous la terre, je sens que j’exprime une beauté intrinsèque imperceptible à l’œil de l’homme moyen. Je présume que c’est le même instinct qui t’a poussée ici pour peindre le désert.
Il abuse. Depuis que je le connais, ce fumier peste tous les jours sur le trou paumé et maudit qu’est cette ville.
-  Je crois que je comprends, susurre la fille (d’une voix presque révérencieuse, nom de Dieu). En tout cas, j’aimerais beaucoup assister à une messe dans ta chapelle souterraine.

Troglo tapis rouge

Kenneth Cook est vraiment hilarant. Ici encore, sa description du troglodyte vip est un délice :
 
La voiture s’arrête, Tony et moi descendons. Le chauffeur nous fait un signe de tête et s’en va, persuadé que nous connaissons le chemin. Ce n’est pas sorcier : nous nous engouffrons dans le tunnel pour fuir le soleil.
Mais ce n’est pas l’entrée ordinaire d’une maison à Ginger Whisker. Les deux ventaux en bois qui ferment normalement l’accès sont grand ouverts et nous passons directement du sable du désert à une moquette épaisse d’un rouge profond aux marbrures étranges qui s’avèrent être des grains de sable transportés par les visiteurs précédents. Les murs sont en brique ancienne, probablement acheminées d’Adélaïde à un coût faramineux. Le plafond est en plâtre avec l’inévitable chandelier qui éclaire une seconde double porte au fond du tunnel. Un bruit de musique, étouffé, s’échappe de ces portes et nous indique la direction des festivités.
 
 
Je ne vous en dis pas plus. Retrouvez Le blues du troglodyte en poche, collection « J’ai Lu ».
 
 
L.T.


Rédigé par Renée Frank le Jeudi 2 Juin 2016 à 07:30 | Lu 333 fois




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