De la littérature souterraine : Zola, chroniqueur des bas-fonds (2)


Lors de l’épisode précédent de GERMINAL, nous avions laissé Etienne au fond de la mine, descendant pour la première fois dans les entrailles de la terre, là où travaillent les mineurs à 800m de profondeur, au bout de galeries semblables aux labyrinthes des Enfers. Recueilli par le vieux Maheu et sa famille, il découvre les terribles conditions de travail des taupes humaines.


Les haveurs

Photochrome de la fosse De Sessevalle, qui était une mine souterraine de houille exploitée par la Compagnie des mines d'Aniche, puis par le Groupe de Douai au nord de Somain, près de Rieulay, dans le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais, en France. Cette image présente une vue d'ensemble de la fosse. La présence du château d'eau indique que la photo a été prise après 1935.
Photochrome de la fosse De Sessevalle, qui était une mine souterraine de houille exploitée par la Compagnie des mines d'Aniche, puis par le Groupe de Douai au nord de Somain, près de Rieulay, dans le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais, en France. Cette image présente une vue d'ensemble de la fosse. La présence du château d'eau indique que la photo a été prise après 1935.
Extraits de l'édition France Loisirs:

Première partie, Chapitre IV
Les quatre haveurs venaient de s’allonger les uns au-dessus des autres, sur toute la montée du front de taille. Séparés par les planches à crochets qui retenaient le charbon abattu, ils occupaient chacun quatre mètres environ de la veine ; et cette veine était si mince, épaisse à peine en cet endroit de cinquante centimètres, qu’ils se trouvaient là comme aplatis entre le toit et le mur, se traînant des genoux et des coudes, ne pouvant se retourner sans se meurtrir les épaules. Ils devaient, pour attaquer la houille, rester couchés sur le flanc, le cou tordu, les bras levés et brandissant de biais la rivelaine, le pic à manche court.
En bas, il y avait d’abord Zacharie ; Levaque et Chaval s’étageaient au-dessus ; et tout en haut enfin, était Maheu. Chacune havait le lit de schiste, qu’il creusait à coups de rivelaine ; puis, il pratiquait deux entailles verticales dans la couche, et il détachait le bloc, en enfonçant un coin de fer à la partie supérieure. La houille était grasse, le bloc se brisait, roulait en morceaux le long du ventre et des cuisses. Quand ces morceaux, retenus par la planche, s’étaient amassés sous eux, les haveurs disparaissaient, murés dans l’étroite fente.
C’était Maheu qui souffrait le plus. En haut, la température montait jusqu’à trente-cinq degrés, l’air ne circulait pas, l’étouffement à la longue devenait mortel. Il avait dû, pour voir clair, fixer sa lampe à un clou, près de sa tête ; et cette lampe qui chauffait son crâne, achevait de lui brûler le sang. Mais son supplice s’aggravait surtout de l’humidité. La roche, au-dessus de lui, à quelques centimètres de son visage, ruisselait d’eau, de grosses gouttes continues et rapides, tombant sur une sorte de rythme entêté, toujours à la même place. Il avait beau tordre le cou, renverser la nuque : elles battaient sa face, s’écrasaient, claquaient sans relâche. Au bout d’un quart d’heure, il était trempé, couvert de sueur lui-même, fumant d’une chaude buée de lessive. Ce matin-là, une goutte, s’acharnant dans son oeil, le faisait jurer. Il ne voulait pas lâcher son havage, il donnait de grands coups, qui le secouaient violemment entre les deux roches, ainsi qu’un puceron pris entre deux feuillets d’un livre, sous la menace d’un aplatissement complet.

Découverte du grisou

De la littérature souterraine : Zola, chroniqueur des bas-fonds (2)
Pas une parole n’était échangée. Ils tapaient tous, on n’entendait que ces coups irréguliers, voilés  et comme lointains. Les bruits prenaient une sonorité rauque, sans un écho dans l’air mort. Et il semblait que les ténèbres fussent d’un noir inconnu, épaissi par les poussières volantes du charbon, alourdi par des gaz qui pesaient sur eux. Les mèches des lampes, sous leurs chapeaux de toile métallique, n’y mettaient que des points rougeâtres. On ne distinguait rien, la taille s’ouvrait, montait ainsi qu’une large cheminée, plate et oblique, où la suie de dix hivers aurait amassé une nuit profonde. Des formes spectrales s’y agitaient, les lueurs perdues laissaient entrevoir une rondeur de hanche, un bras noueux, une tête violente, barbouillée comme pour un crime. Parfois, en se détachant, luisaient des blocs de houilles, des pans et des arêtes, brusquement allumés d’un reflet de cristal. Puis, tout retombait au noir, les rivelaines tapaient à grands coups sourds, il n’y avait plus que le halètement des poitrines, le grognement de gêne et de fatigue, sous la pesanteur de l’air et la pluie des sources.
 
[...]
- Viens, que je te montre quelque chose, murmura Catherine d’un air de bonne amitié.
Lorsqu’elle l’eut amené au fond de la taille, elle lui fit remarquer une crevasse, dans la houille. Un léger bouillonnement s’en échappait, un petit bruit, pareil à un sifflement d’oiseau.
- Mets ta main, tu sens le vent… C’est du grisou.
Il resta surpris. Ce n’était que ça, cette terrible chose qui faisait tout sauter ? elle riait, elle disait qu’il y en avait beaucoup ce jour-là, pour que la flamme des lampes fut si bleue.
- Quand vous aurez fini de bavarder, fainéants ! cria la rude voix de Maheu.
Catherine et Etienne se hâtèrent de remplir leurs berlines et les poussèrent au plan incliné, l échine raidie, rampant sous le toit bossué de la voie. Dès le second voyage, la sueur les inondait et leurs os craquaient de nouveau.

Les taupes humaines

De la littérature souterraine : Zola, chroniqueur des bas-fonds (2)
Dans la taille, le travail des haveurs avait repris. Souvent, ils abrégeaient le déjeuner, pour ne pas se refroidir ; et leurs briquets (ndlc : l’encas sommaire qui fait office de repas), mangés aussi loin du soleil, avec une voracité muette, leur chargeait de plomb l’estomac. Allongés sur le flanc, ils tapaient plus fort, ils n’avaient que l’idée fixe de compléter un gros nombre de berlines. Tout disparaissait dans cette rage du gain disputé si rudement. Ils cessaient de sentir l’eau qui ruisselait et enflait dans leurs membres, les crampes des attitudes forcées, l’étouffement des ténèbres, où ils blêmissaient ainsi que des plantes mises en cave. Pourtant, à mesure que la journée s’avançait, l’air s’empoisonnait davantage, se chauffait de la fumée des lampes, de la pestilence des haleines, de  l’asphyxie du grisou, gênant sur les yeux comme des toiles d’araignée et que devait seul balayer l’aérage de la nuit. Eux, au fond de leur trou de taupe, sous le poids de la terre, n’ayant plus de souffle dans leurs poitrines embrasées, tapaient toujours.
 

Zola dénonce dans GERMINAL les conditions inhumaines dans lesquelles travaillent ces damnés de la terre. Il décrit de manière crue mais avec humanité la déchéance physique qui conduit à la déchéance morale d’un monde oublié des dieux : mœurs dissolus, alcoolisme, manque d’hygiène, violence, vol et  même crime : l’humanité laisse place à l’animal, lorsqu’il ne s’agit plus que de survie et de désespoir. Mais la révolte gronde. Etienne prend la tête du mouvement de grève, qui va mener la mine et les famille à la famine  et  à la catastrophe…

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Rédigé par Renée Frank le Mercredi 6 Mars 2013 à 09:56 | Lu 407 fois