De la littérature souterraine : Victor Hugo (2)


"A tout seigneur, tout honneur !" Nous avons entamé cette rubrique littéraire par le géant Victor Hugo. Comme promis, voici la suite des bas-fonds décrits par la plume formidable du célèbre écrivain dans Les Misérables : au-dessous des mines qui sapent les entrailles de la société pour lui apporter paradoxalement lumière et progrès, il y a un troisième sous-sol qui, lui, relève des forces du Mal, nourri par le désespoir et la misère... Avant de l'atteindre, les philosophes et révolutionnaires, "pionniers du monde souterrain", s'agitent dans les mines du progrès, dans les niveaux intermédiaires...


La prunelle étoile et la prunelle ombre

De la littérature souterraine : Victor Hugo (2)
MARIUS / Livre septième / Patron-Minette / Les mines et les mineurs (suite) :
"Plus on s'enfonce, plus les travailleurs sont mystérieux. Jusqu'à un degré que le philosophe social sait reconnaître, le travail est bon ; au delà de ce degré, il est douteux et mixte ; plus bas, il devient terrible. A une certaine profondeur, les excavations ne sont plus pénétrables à l'esprit de civilisation, la limite respirable à l'homme est dépassée ; un commencement de monstre est possible.
L'échelle descendante est étrange ; et chacun de ces échelons correspond à un étage où la philosophie peut prendre pied, et où l'on rencontre un de ces ouvriers, quelquefois divins, quelques fois difformes. Au-dessous de Jean Huss, il y a Luther ; au-dessous de  Luther, il y a Descartes ;  au-dessous de Descartes, il y a Voltaire ; au-dessous de Voltaire, il y a Condorcet ; au-dessous de Condorcet, il y a Robespierre ; au-dessous de Robespierre, il y a Marat ; au-dessous de Marat, il y a Babeuf. Et cela continue. Plus bas, confusément, à la limite qui sépare l'indistinct de l'invisible, on aperçoit d'autres hommes sombres, qui peut-être n'existent pas encore. Ceux d'hier sont des spectres ; ceux de demain sont des larves. L'oeil de l'esprit les distingue obscurément. Le travail embryonnaire de l'avenir est une des visions du philosophe.
Un monde dans les limbes à l'état de foetus, quelle silhouette inouïe !
Saint-Simon, Owen, Fourier sont là aussi, dans des sapes latérales.
Certes, quoiqu'une divine chaîne invisible lie entre eux à leur insu tous ces pionniers souterrains, qui, presque toujours se croient isolés, et qui ne le sont pas, leurs travaux sont bien divers, et la lumière des uns contraste avec le flamboiement des autres. Les uns sont paradisiaques, les autres sont tragiques [....]. Vénérez, quoi qu'il fasse, quiconque à ce signe : la prunelle étoile.
La prunelle ombre est l'autre signe.
A elle commence le mal. Devant qui n'a pas de regard, songez et tremblez. L'ordre social a ses mineurs noirs.
Il y a un point où l'approfondissement est de l'ensevelissement, et où la lumière s'éteint.
Au-dessous de toutes ces mines que nous venons d'indiquer, au-dessous de toutes ces galeries, au-dessous de tout cet immense système veineux souterrain du progrès et de l'utopie, bien plus avant dans la terre, plus bas que Marat, plus bas que Babeuf, plus bas, beaucoup plus bas, et sans relation aucune avec les étages supérieurs, il y a la dernières sape. Lieu formidable. C'est ce que nous avons nommé le troisième dessous. C'est la fosse des ténèbres. C'est la cave desaveugles. Inferi.
Cela communique aux abîmes."

"Les Fleurs" ... du mal, vues par Hugo.

De la littérature souterraine : Victor Hugo (2)
Victor Hugo a rajouté le livre septième des Misérables pendant l'exil. Des pensées sombres l'assaillent.
D'après la dernière note  du tome 1 de l'édition Folio, ces lignes devaient faire partie initialement d'un ensemble dont Hugo n'a pas publié la suite, gardée en réserve sous le titre "Les Fleurs". Outre son intérêt narratif, il est indispensable à la compréhension des intentions de Hugo dans "Les Misérables".

Pour la suite de cette rubrique littéraire, nous resterons dans le Livre Septième, où il est question de taupe et de chauve-souris... Victor, on adore !

A suivre


Lady Trog


Rédigé par Renée Frank le Mercredi 7 Novembre 2012 à 05:49 | Lu 340 fois