De la littérature souterraine : Le meurtre du commandeur, de Haruki Murakami

Une lecture pour profiter des longues heures du couvre-feu ou du confinement...


Vous connaissez peut-être Haruki Murakami, l'écrivain japonais prolixe dont les fictions vous emmènent souvent à la lisière de mondes oniriques, fantastiques ou parallèles. LE MEUTRE DU COMMANDEUR ne fait pas exception, et nous plonge dans la vie d'un artiste peintre vivant isolé dans la montagne, avec d'étranges voisins. Les créatures du monde du dessous ne sont jamais loin...


La fosse

Conçu en deux tomes, intitulés " Une idée apparaît"  et "La métaphore n'est jamais loin", LE MEURTRE DU COMMANDEUR est le récit d'un chagrin d'amour et du voyage initiatique vers une rédemption. Les épreuves emmèneront le narrateur dans une fosse creusée dans son jardin, puis plus tard à travers un paysage étrange dont la sortie passe par un tunnel étroit où il manque de rester coincé. Il croise sur son chemin d'étranges personnages, réels ou semblant nés de son imagination. On n'est jamais loin de l'univers étrange de Kafka. D'ailleurs, Murakami a également écrit un livre intitulé KAFKA SUR LE RIVAGE.


Le narrateur et son étrange voisin Menshiki mettent au jour une fosse au fond du jardin, d'où d'étranges sons  s'échappent au milieu de la nuit.

EXTRAITS, Chapitre 15: 
Le dallage de pierre était totalement dégagé, et à la place s'ouvrait une fosse.  Le couvercle carré en forme de grille avait également été enlevé, il était posé un peu plus loin. C'était un couvercle en bois assez épais, qui paraissait solide. Malgré son ancienneté, il ne donnait aucun signe de pourrissement. Et par l'ouverture ainsi dégagée, on voyait comme une sorte de chambre de pierre cylindrique. Son diamètre était au plus de deux mètres, sa profondeur, de deux mètres cinquante environ. Tout autour, la paroi était tapissée de pierres. Le sol semblait être de terre battue. Pas une seule herbe. Cette chambre de pierre était absolument vide. Il n'y avait personne qui demandait du secours, ni de momie à l'aspect de boeuf séché. Seule une chose qui ressemblait à une clochette était posée par terre. (...).

- "C'était peut-être un puits à l'origine, dit le contremaître. Que l'on a ensuite condamné pour en faire cet espace. Mais pour un puits, le diamètre de l'ouverture est un peu trop important, et les pierres tout autour sont finement travaillées. Ca n'a vraiment pas dû être facile de façonner une chose pareille. Mais bon, j'imagine que ceux qui l'ont fait avaient justement un but important pour se donner autant de mal...
- Est-ce que cela vous ennuierait que j'y descende?" demanda Menshiki au contremaître.

La grotte du Mont Fuji

Le narrateur se souvient de sa soeur disparue, Komi, et d'une promenade dans une grotte du Mont Fuji. Ici, on bascule dans le monde d'Alice au pays des merveilles...

EXTRAITS, Chapitre 23:

Un jour, nous poussâmes jusqu'à visiter une "caverne venteuse" du Fuji. Parmi les nombreuses grottes de ce type que l'on rencontre aux alentours du mont Fuji, celle-ci était d'une taille assez considérable. Notre oncle nous expliqua de quelle façon  elle avait été constituée : la caverne étain formée de parois de basalte, même à l'intérieur, on n'entendait presque pas d'écho. La température n'était jamais très élevée, y compris en été, et les gens d'autrefois conservaient là la glace qu'ils avaient extraite pendant l'hiver. Même si elles étaient désignées par les mêmes idéogrammes chinois, les cavités assez grandes pour permettre à un homme de s'y introduire et d'y habiter étaient appelées " cavernes venteuses", tandis que les petites, dans lesquelles les hommes ne pouvaient pas entrer, c'était des "creux venteux".
(...)

Après avoir avancé un certain temps, ma soeur découvrit une petite cavité horizontale, un peu à l'écart de l'itinéraire indiqué. Il y avait une ouverture dissimulée sous un rocher. Ma soeur sembla tout à fait fascinée. "Regarde! ça ressemble au terrier d'Alice, non?" s'écria-t-elle. (...). 
Le boyau était vraiment très étroit (selon la définition de notre oncle, il était proche de ce qu'on appelle un "creux venteux") mais la petite taille de ma soeur lui permettait de s'y glisser sans peine. Le haut de son corps une fois à l'intérieur, seul le bas de ses jambes ressortait. Elle essayait d'éclairer le fond avec sa lampe de poche. Puis elle recula et sortit du boyau.
"Ca devient très profond vers le fond, m'annonça-t-elle. Ca descend jusque très bas, comme le terrier du lapin d'Alice. J'ai vraiment envie d'aller voir. (...)
En un clin d'oeil, elle avait disparu de ma vue.

Un toast au fromage

Le narrateur se laisse entraîner sur des chemins obscurs à la recherche de Marié, une adolescente disparue. Il est guidé par des personnages sortis d'un tableau mystérieux. 

Chapitre 53, EXTRAITS:

Les ténèbres qui m'enveloppaient étaient totalement denses et sans faille, comme si elles étaient animées d'une volonté propre. Pas le moindre rai de lumière ne filtrait et pas la moindre source lumineuse non plus. J'avais l'impression de marcher au fond d'une mer profonde que la lumière n'atteignait pas. Le seul lien, bien précaire qui m'unissait avec le monde, était le faisceau jaune de la torche. Le chemin était en pente douce. Tel un tunnel excavé dans la roche, le passage avait une forme de cylindre régulier, et le sol était ferme, à peu près nivelé. Le plafond bas, ce qui m'obligeait à rester courbé pour ne pas me cogner la tête. L'air de ce souterrain était frais mais n'avait aucune odeur. Tout était tellement inodore que s'en était étrange. Sans doute que dans ce lieu, même l'air avait une composition particulière, différente de celui qui flottait à la surface de la terre. (...). 
Autant que possible, je m'efforçai de ne pas pense à l'exiguïté et à l'obscurité. Pour ce faire, il me fallait penser à autre chose. J'imaginais un toast au formage. Pourquoi un toast au fromage? Je ne le savais pas très bien moi-même.

Le retour de Marié

De retour dans le monde réel,  le narrateur s'interroge sur ce parcours initiatique qu'il a dû accomplir.

Chapitre 57, EXTRAITS:

Pourquoi avais-je dû traverser ce monde souterrain? Pour pénétrer dans ce domaine, il avait fallu que le Commandeur soit mis à mort de ma propre main. Il avait sacrifié sa vie, et j'avais été amené à subir un certain ombre d'épreuves au sein de ce monde ténébreux. Il fallait bien qu'il y ait une raison à tout cela. Dans cette contrée souterraine, j'avais été face à des dangers véritables, j'avais éprouvé des peurs certaines. Là-bas, tout pouvait arriver, même le plus insolite, cela n'avait rien d'étonnant. Et, semblait-il, que je me sois battu et que j'aie survécu à un tel monde, que je sois passé par cette épreuve m'avait permis de sauver Marié de quelque part. A tout le moins, Marié était rentrée saine et sauve. Comme l'avait prédit le Commandeur. Mais j'étais incapable e découvrir des liens de parallélisme concrets entre l'expérience que j'avais vécue dans ce royaume souterrain et le retour de Marié.

J'espère que ces extraits vous auront donné envie de lire ce beau et étrange roman métaphorique qui nous emmène dans des mondes souterrains.

LE MEUTRE DU COMMANDEUR est disponible  dans la collection de poche 10/18, aux éditions Belfond. Vous y découvrirez d'autres très beaux romans de Haruki Murakami.

L.T.


Rédigé par Renée Frank le Dimanche 24 Janvier 2021 à 16:32 | Lu 379 fois