La clé du Troglo, Bertrand Ménard


Troglopedia, cette nouvelle rubrique vous emmènera à la découverte de nouvelles contrées dans le pays des mots. Histoire, géographie, littérature…
Aujourd’hui c’est Bertrand Ménard qui vous convie dans son imaginaire avec “La clé du troglo”.


Bertrand Ménard

De lointaine souche saumuroise, Bertrand a toujours vécu dans la ville de ses ancêtres à Montsoreau. Régisseur à l’Abbaye de Fontevraud, il a publié quelques écrits devenus références, sur ce lieu prestigieux. Passionné par la région et le monde souterrain, il a participé activement à diverses associations locales telles que le CATP (Carrefour Anjou Touraine Poitou), la Société des Lettres, Sciences et Arts du Saumurois ou encore la Confrérie des Amateux et Respectueux du Monde Souterrain dont il a le titre de Grand Chancelier.
Avec son épouse Martine et leur fille Douceline ils ont sauvé et restauré les caves du Chemin au Roy à Chavannes – Le Puy Notre Dame (1988-1998), puis une cave et maison de journalier ruelle des Perreyeurs à Montsoreau, et depuis quelques années la cave de la Dame de Villeneuve à Souzay.
Il publie régulièrement des contes de Noël pour le Courrier de l’Ouest, et c’est avec un vif plaisir que nous lui ouvrons notre portail.
Bertrand Ménard est le troisième personnage à partir de la gauche.
Bertrand Ménard est le troisième personnage à partir de la gauche.

Tunisie, mars 1990.

Cela fait un bon moment que nous avons quitté l’oasis de Gabès et roulons vers le sud. Quelques palmiers parsèment un paysage de plus en plus désertique et chaotique. Nous touchons au but de notre voyage : Matmata.
Au milieu de petites collines de terre rouge, nous descendons dans l’une des nombreuses habitations souterraines jadis creusées par les berbères. La chaleur pesante de l’extérieur et la poussière font place à une agréable fraîcheur dans une demi-obscurité.
Notre hôte nous a préparé un repas fastueux pour ce sud-tunisien si pauvre : brick à l’œuf, couscous de mouton et quelques dattes… Succulent !
Je préfère, au fort goût de brûlé du café, le thé à la menthe si agréable après les plats épicés. Après quoi je me dégourdis les jambes et procède à une exploration succincte de l’habitation troglodytique.

Les parois ont été enduites à la chaux, et mes yeux s’habituent vite à l’obscurité.
Derrière une porte basse, j’accède à une petite pièce ronde. Une niche creusée à mi-hauteur de la paroi qui me fait face attire mon attention : un tout petit homme s’y trouve assis, si petit que je crois rêver. Il me regarde en souriant, sourire qui ressemble presque à une grimace.
Il me fait signe de m’approcher, mais je dois avouer que je reste figé sur place, tant mon étonnement est grand. Le petit bonhomme semble en rire, et il me tend une clé ! Je n’ose m’avancer davantage, et préfère tourner les talons, non sans le saluer, salut qu’il me rend aussitôt en agitant les mains et en courbant la tête.
En quittant Matmata et ses troglodytes, je ne peux oublier cette étrange apparition…
La clé du Troglo, Bertrand Ménard

En saumurois, mars 1991

C’est singulier, les hasards de la vie : alors qu’il y a un an j’étais en Tunisie, me voici à nouveau sous terre, dans une de ces belles caves saumuroises creusées dans le tuffeau.
Et si le menu cette fois-ci diffère totalement, car je déguste des mets que l’on pourrait qualifier de « rabelaisiens », je retrouve les mêmes sensations sous ces parois et voûtes façonnées par les perreyeurs d’autrefois.
L’ambiance de notre repas est des plus conviviales, et j’éprouve un réel plaisir à participer à cette soirée. Après le dessert, nous nous regroupons autour de la cheminée où brûle un merveilleux feu de bois. Un de nos amis, qui connait bien le monde souterrain de l’Anjou, est sollicité par l’assistance, et joue alors le rôle du conteur. Une veillée fort sympathique s’improvise. Dans la pénombre où je me suis placé, un peu à l’écart, je peux à loisir surveiller l’ensemble de la pièce.

Les histoires de notre conteur passionnent l’auditoire. Des scènes du temps passé s’animent devant nos yeux, drôles, tristes, avec parfois des personnages extraordinaires. La lueur du foyer et des chandelles fait danser nos ombres sur les parois de tuffeau et mon regard qui les suit découvre une petite niche creusée à mi-hauteur… L’image de mon petit bonhomme me revient en mémoire quelques instants, mais la niche est ici occupée par un pot de grès contenant quelques fleurs séchées.
Lorsque le nom des lutins, farfadets et korrigans, ces petits êtres facétieux, est prononcé, ma pensée retourne à nouveau au petit être de Matmata.
Et tout à coup, je sens une présence tout contre moi, derrière le banc où je suis assis.
Détournant mes yeux sur le côté, je revois très distinctement mon petit bonhomme, celui qui était assis dans sa niche en Tunisie. Il semble heureux, comme s’il se réjouissait de me faire une farce, et il me présente à nouveau sa clé.
Je n’ose bouger. La veillée se poursuit, toute l’attention de l’auditoire étant accaparée par le conteur… Pour me convaincre que je ne rêve pas, je me décide à tendre la main vers la clé, et à ma grande surprise réussis à la saisir.
Comme s’il avait deviné que je voulais lui parler, le petit homme pose un doigt sur ses lèvres, m’imposant le silence. Puis après un sourire et un dernier clin d’œil, il disparait dans l’obscurité. J’enfouis la clé dans ma poche.

Épilogue

Vous voulez certainement connaître la fin de mon histoire ?
Dans la semaine qui a suivi, j’ai découvert une petite annonce pour une ancienne habitation troglodytique à vendre. M’étant rendu sur place, j’ai eu comme un coup de foudre, et j’ai acheté. J’ai alors commencé à comprendre le message du petit génie des troglos.

La clé ? J’ai dû la perdre le jour où j’ai signé l’acte de propriété chez le notaire… mais je me demande si ce n’est pas mon ami le petit bonhomme qui me l’a discrètement reprise ! Si un jour vous le rencontrez dans une cavité souterraine, c’est certainement parce qu’il vous a choisi. Souriez-lui et acceptez sa clé : c’est le signe incontestable que vous aurez bientôt vous aussi votre « troglo ».
Dans ma cave demeurante où il fait si bon vivre existe bien évidemment une petite niche. J’y ai placé un vase avec un bouquet de fleurs que j’entretiens régulièrement.

Bertrand Ménard, 1992



Ouvrages édités :
"Encore 264 jours à tirer au pénitencier de Fontevrault" - Cheminements éditions 1994 (traduit en anglais en 2009 "When Fontevraud abbey was a prison")
"Souvenirs d'Allonnes, 1900 - 1939" - Cheminements éditions 1997
"Les mystères de l'Abbaye Royale de Fontevraud" - Cheminement éditions 1998 (Prix des Écrivains Régionalistes 1998)
"Fontevraud, les mystères du village et de l’abbaye », - L’Apart éditions 2010



/!\ A voir aussi : ceci /!\ 


Rédigé par Patrick Edgard Rosa le Vendredi 11 Mars 2011 à 16:44 | Lu 995 fois




Nouveau commentaire :
Facebook