De la littérature souterraine, Zola, chroniqueur des bas-fonds (1)


Germinal : Quand on pense littérature souterraine, c'est le roman qui vient le premier à l'esprit. Certes, les conditions de vie et de travail décrites dans ce terrible roman donnent une image extrêmement sombre et misérable des ces damnés de la terre, sacrifiant leur vie dans les mines de charbon. Mais des sentiments de révolte et de grandeur naissent au fond de cet enfer, et l'espoir apporte de la lumière à cette vision noire de la condition ouvrière.


La germination des plantes et des hommes

Pourquoi ce titre, Germinal? "Le 12 germinal an III, le peuple affamé envahit la Convention en criant : " Du pain et la Constitution de 93". Quelque chose germe, mais quoi? Il s'agit ici de l'histoire d'un peuple en marche. Ce qui germe est d'abord souterrain. Le regard naturaliste de Zola dans son roman fleuve des Rougon-Macquart sur la misère humaine annonce déjà un monde qui se lézarde. Son discours choque le bourgeois bien pensant qui refuse de voir l'effritement du monde "coulant à l'abîme". Quelque chose germe, donc... naturellement, pourrait-on dire. Zola associe dans Germinal mais aussi dans d'autres romans le thème du souterrain et celui de la germination, par le biais d'une métaphore. A propos de l'Abbé Mouret, il écrit " Mais il plaignait aussi les plantes. Les semences devaient souffrir dans le sol à attendre la lumière ; elles avaient leurs cauchemars, elles rêvaient qu'elles rampaient le long d'un souterrain, arrêtées par des éboulements, luttant furieusement pour arriver au soleil." Ou encore : "Des hommes poussent, une armée noire, vengeresse, qui germait lentement dans les sillons, grandissant pour les récoltes du siècle futur, et dont la germination allait bientôt faire éclater le terre" : Ainsi se termine Germinal, dont nous vous présenterons trois extraits issus de l'édition France-Loisirs, préfacée par Dominique Foucher.

PREMIERE PARTIE, CHAPITRE 3:
Etienne, le héros du roman, est embauché à la mine du Voreux, après avoir erré, affamé, à la recherche d'un travail. Adopté par une famille de mineurs, il descend pour la première fois au fond de la fosse :
"- Nous voilà partis, dit paisiblement Maheu.
Tous étaient à l'aise. Lui, par moments, se demandait s'il descendait ou s'il montait. Il y avait comme des immobilités, quand la cage filait droit, sans toucher aux guides ; et de brusques trépidations se produisaient ensuite, une sorte de dansement dans les madriers, qui lui donnait la peur d'une catastrophe. Du reste, il ne pouvait distinguer les parois du puits, derrière le grillage où il collait sa face. Les lampes éclairaient mal le tassement des corps, à ses pieds. Seule, la lampe à feu libre du porion, dans la berline voisine, brillait comme un phare.
- Celui-ci a quatre mètres de diamètre, continuait Maheu, pour  l'instruire. Le cuvelage aurait donc besoin d'être refait car l'eau filtre de tous les côtés... Tenez! nous arrivons au niveau, entendez-vous?  [...]. Sans doute, la toiture était trouée, car un filet d'eau, coulant sur son épaule, le trempait jusqu'à la chair. Le froid devenait glacial, on enfonçait dans une humidité noire, lorsqu'on traversa un rapide éblouissement, la vision d'une caverne où des hommes s'agitaient, à la lueur d'un éclair. Déjà, on retombait dans le néant.
Maheu disait:
- C'est le premier accrochage. Nous sommes à trois cent vingt mètres... regardez la vitesse.
Levant la lampe, il éclaira un madrier des guides, qui filait ainsi qu'un rail sous un train lancé à toute vapeur ; et, au-delà, on ne voyait toujours rien. Trois autres accrochages passèrent, dans un envolement de clartés. La pluie assourdissante battait les ténèbres.
- Comme c'est profond murmura Etienne."
Oeuvres de Joèlle Delaunay
Oeuvres de Joèlle Delaunay

A cinq cent cinquante-quatre mètres sous terre

"Cette chute devait durer des heures. [...]. Lorsque la cage, enfin, s'arrêta au fond, à cinq cent cinquante-quatre mètres, il s'étonna d'apprendre que la descente avait duré juste une minute. [...].
La cage se vidait, les ouvriers traversèrent la salle de l'accrochage, une salle taillée dans le roc, voûtée en maçonnerie, et que trois grosses lampes à feu libre éclairaient. Sur les dalles de fonte, les chargeurs roulaient des berlines pleines. Une odeur de cave suintait des murs, une fraîcheur salpêtrée où passaient des souffles chauds, venus de l'écurie voisine. Quatre galeries s'ouvraient là, béantes.
- Par ici, dit Maheu à Etienne. Vous n'y êtes pas, nous avons à faire deux bons kilomètres.
Les ouvriers se séparaient, se perdaient par groupes au fond de ces trous noirs. Une quinzaine venaient de s'engager dans celui de gauche ; et Etienne marchait le dernier, derrière Maheu, que précédaient Catherine, Zacharie et Levaque. C'était une belle galerie de roulage, à travers banc, et d'un roc si solide, qu'elle avait eu besoin seulement d'être muraillée en partie.Un par un, ils allaient, ils allaient toujours, sans une parole, avec les petites flammes des lampes. Le jeune homme butait à chaque pas, s'embarrassait les pieds dans les rails. Depuis un instant, un bruit sourd l'inquiétait, le bruit lointain d'un orage dont a violence semblait croître et venir des entrailles de la terre. Etait-ce le tonnerre d'un éboulement, écrasant sur leurs têtes la masse énorme qui les séparait du jour? Une clarté perça la nuit, il sentit trembler le roc ; et, lorsqu'il se fut rangé le long du mur, comme les camarades, il vit passer contre sa face un gros cheval blanc, attelé à un train de berlines. Sur la première, tenant les guides, Bébert était assis ; tandis que Jeanlin, les poings appuyés sur le bord de la dernière, courait pieds nus.

Mieux vaut encore être un homme qu'un cheval...

On se remit en marche. Plus loin, un carrefour se présenta, deux nouvellles galeries s'ouvraient, et la bande s'y divisa encore, les ouvriers se répartissaient peu à peu dans tous les chantiers de la mine. Maintenant, la galerie de roulage était boisée, des étais de chêne soutenaient le toit, faisaient à la roche ébouleuse une chemise de charpente, derrière laquelle on percevait les lames des schistes, étincelant de mica, et la masse grossière des grès, ternes et rugueux. Des trains de berlines pleines ou vides passaient continuellement, se croisaient, avec leur tonnerre emporté dans l'ombre par des bêtes vagues, au trot de fantôme. Sur la double voie d'un garage, un long serpent noir dormait, un train arrêté, dont le cheval s'ébroua, si noyé de nuit que sa croupe confuse était comme un bloc tombé de la voûte. Des porte d'aérage battaient, se refermaient lentement. Et, à mesure qu'on avançait, la galerie devenait plus étroite, plus basse, inégale de toit, forçant les échines à se plier sans cesse. [...]
Maheu n'avait plus ouvert la bouche. Il prit à droite une nouvelle galerie, disant simplement à Etienne sans se tourner:
- La veine Guillaume."

Ainsi, au fond de la mine, de malheureux chevaux partagent le destin des hommes de l'ombre, condamnés à ne plus revoir le soleil et à mourir d'épuisement ou écrasés par un éboulement. quant à Etienne, parviendra-t-il à supporter ces terribles conditions de travail? A suivre sur troglonautes.comm...


Lady Trog


Rédigé par Renée Frank le Samedi 23 Février 2013 à 13:18 | Lu 445 fois




Nouveau commentaire :
Facebook