Les « bas-fonds » de Matera (1)


Lorsque je pénètre dans la haute ville (la ville nouvelle), je ne m’attends pas à prendre une telle claque. Je suis docilement la signalisation qui me conduit vers les « sassi ». Enfin, après quelques virages, nous débouchons sur une petite place, avec à gauche le « Sasso Caveoso » et à ma droite le « Sasso Barisano ». J’arrête notre cheval vapeur et en descends, le souffle coupé par le spectacle qui s’offre à mon regard.
Prenez un jeu de lego, imbriquez des cubes plus ou moins empilés, comme deux vagues qui affleureraient à flanc de coteau. Imaginez que chaque pièce est une entrée de troglo, rajoutez un magnifique soleil couchant qui nuance les structures beiges ou grises, mais de pierres construites… C’est simple, vous êtes à Matera, au cœur du troglodytisme.
Nous rêvions de cette destination depuis fort longtemps, une étape importante sur les traces de Caves Network, après la Grèce, l’Espagne, voici l’Italie et ses artistes.


Ballade au cœur du temps

Les « bas-fonds » de Matera (1)
Bien sûr, vous marchez sur les pas de Carlo Lévi, sur les traces du Christ de Mel Gibson et avant cela sur une étape de la célèbre Via Appia, mais vous êtes au cœur de la nuit des  temps. La région de Matera a été habitée par l’homme de très longue date. La structure géologique explique l’emplacement de la vieille cité : une ceinture de tuf tendre située entre 350 et 400 mètres au-dessus du lit de la vallée (la Gravina) renferme deux dépressions naturelles  (grabbialioni) où se développe l’habitat. Le fleuve, qui n’est plus que torrent, a creusé dans le calcaire le site sur lequel les habitants troglodytiques sont installés depuis le paléolithique, sans discontinuité jusqu’au milieu du XXème siècle.
Aux Grecs et aux Romains ont succédé les Bysantins, puis les Normands qui ont permis à la ville de jouir d’une période de prospérité : la construction du Château et des remparts l’attestent. La population en plein essor a été contrainte d’occuper les grottes situées en dehors des remparts dans les deux amphithéâtres naturels que sont les sassis « Caveoso » et « Barisano ».

Intermezzo

Suivez le guide : vous êtes sur la Piazza San Pedro Caveoso. A votre gauche, en franchissant un porche vous pourrez embrasser du regard le sasso Caveoso, ou encore bien des caves sont inoccupées et propriété du domaine public. C’est là que furent tournés la plupart des films qui contribuèrent à redorer le blason de la ville. Si vous tournez le dos à l’église, face à vous, vous pourrez découvrir le Sasso Barisano en grande partie restauré.

L'habitat de la Honte

Les « bas-fonds » de Matera (1)
Les Espagnols succèdent aux Normands, période difficile pour une population de plus en plus démunie, qui s’entasse dans ces sassis dénigrés, occupés… par défaut ! La pièce du devant est occupée par la famille (jusqu’à six enfants), la salle en retrait réservée aux animaux domestiques.
Au 19ème siècle, l’eau courante n’existait toujours pas, c’est sans parler des eaux d ‘évacuation. Il est encore possible de voir dans les maisons abandonnées des rigoles creusées à même le sol qui permettaient de recueillir l’eau dans des citernes creusées à l’intérieur des habitations.
La situation empire dans les sassi jusqu’à ce que la loi De Gasperi (1952) impose l’évacuation des sassi et le relogement des populations. En 1953, avec le départ du dernier habitant, vient s’installer « la honte » collective qui hante toujours les survivants de cette époque et la difficulté de faire remonter les souvenirs à la surface.
 
A suivre…


Rédigé par Patrick Edgard Rosa le Lundi 12 Mars 2012 à 05:00 | Lu 652 fois