De la littérature souterraine : Les Carnets du sous-sol de Dostoïevski (2)


L’anti héros nihiliste de Dostoïevski se présente comme ayant quarante ans, « quarante ans de vie en sous-sol ». L’auteur a 43 ans quand il publie les « Carnets du sous-sol ». Comment ne pas rapprocher l’écrivain tourmenté de son personnage désabusé… ? Extraits :


Au diable le sous-sol!

De la littérature souterraine : Les Carnets du sous-sol de Dostoïevski (2)
A la fin des fins, messieurs : mieux vaut ne rien faire du tout ! Mieux vaut être inerte  en toute conscience ! Et donc, vive le sous-sol ! J’ai eu beau affirmer que j’étais jaloux de l’homme normal jusqu’à la bile la plus noire – dans les conditions où je le vois, je ne veux pas devenir comme lui. (Même si je ne cesse pas d’être jaloux. Non, non – le sous-sol a quand même plus d’intérêt !). Là au moins, il est possible… Eh là, mais là aussi je raconte n’importe quoi ! Je raconte n’importe quoi parce que je sais moi-même, comme deux et deux, que ce n’est pas le sous-sol qui est mieux, c’est quelque chose d’autre, quelque chose qui n’a rien à voir, et que je cherche tellement, et que je ne trouverai jamais ! Au diable le sous-sol !
Mais voilà ce qui serait le mieux : si je croyais moi-même, un tout petit peu, à ce que j’ai écrit. Je vous jure, messieurs, il n’y a pas un mot, non, pas un seul, auquel je croie dans ce que je viens de gribouiller ![…]
 - Pourquoi avez-vous donc écrit  tout ça ? me demandez-vous ?
- Je vous enfermerais pour quarante ans, sans rien à faire, et je reviendrais vous voir quarante années plus tard, dans votre sous-sol, pour voir où vous en êtes… Est-il possible de laisser seul un homme sans rien à faire pendant quarante années ?

Mensonge, mensonge et encore mensonge!

De la littérature souterraine : Les Carnets du sous-sol de Dostoïevski (2)
Le narrateur semble décidemment entretenir une relation conflictuelle avec son sous-sol, à la fois refuge et prison :
 
Oui, vous voulez dire quelque chose, mais votre peur vous fait cacher votre dernier mot car vous n’avez pas assez de cran pour lui trouver une expression, vous n’êtes mû que par une insolence lâche. Vous vous flattez de votre conscience, mais vous ne faites qu’hésiter, car même s’il est vrai que votre esprit travaille, votre cœur est noirci par la dépravation et, sans un cœur pur, une conscience pleine et juste est inimaginable. Et comme vous êtes énervant, que vous êtes collant avec toutes vos grimaces ! Mensonge, mensonge et encore mensonge !
Evidement, ce que vous me dites là, je viens de l’inventer. C’est toujours le sous-sol. Pendant quarante ans, j’ai écouté ce genre de discours derrière la porte. Je les ai inventés moi-même, il n’y avait que çà qui se laissait inventer. Pas étonnant que çà se soit appris par cœur, et que ça me fasse de la littérature….

Le remord de l'écriture

De la littérature souterraine : Les Carnets du sous-sol de Dostoïevski (2)
Pris de remord par  sa misanthropie et son nihilisme, l’auteur des Carnets écrit :

Même maintenant, après tant d’années, tout cela fait trop « pas bien » dans mon souvenir. Il y a beaucoup de choses maintenant qui me restent « pas bien », mais… ne vaudrait-il pas mieux achever les  « Carnets » ici ? J’ai l’impression que j’ai commis une erreur en commençant de les écrire. Du moins ai-je toujours eu honte pendant que j’écrivais ce récit : n’est-ce pas, ce n’est plus de la littérature, c’est une peine de redressement. Car raconter, par exemple, de longs récits sur la façon dont j’ai gâché ma vie dans mon trou, la désagrégation morale, l’absence de milieu, la perte du vivant et ma méchanceté vaniteuse dans mon sous-sol, je vous jure, cela n’a pas d’intérêt […].
Je sais, peut-être, qu’après ce que je viens de dire, vous, vous allez vous fâcher contre moi, vous hurlerez, vous taperez des pieds : « Holà, parlez au moins pour vous, de vos petites misères dans le sous-sol, mais de quel droit dites-vous : « nous tous ? » Permettez-moi messieurs, je ne pourrai pas me justifier de toute façon, avec cette « nous-toussité ». […]
Mais –ça suffit, je n’ai plus envie d’écrire, du fond de mon « sous-sol »…
 
Pourtant, ce n’est pas là que s’achèvent les « carnets" de cet homme paradoxal. C’était plus fort que lui, il a continué. Mais il nous semble, à nous aussi, que c’est ici que l’on peut s’arrêter.
 
Le lieu clos du sous-sol est une métaphore de l’introspection et de la solitude de l’écrivain. Ce monologue désespéré de Dostoïevki aura sans doute inspiré bien d’autres auteurs du 20ème siècle par sa modernité et sa démarche introspective.  Si vous cherchez l’inspiration, allez donc vous enfermer dans votre cave…
 
Les Carnets du sous-sol, Dostoïevski
Traduction du russe par André Markowicz
Editions Babel
 
 
Lady trog


Rédigé par Renée Frank le Samedi 26 Octobre 2013 à 07:37 | Lu 610 fois




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